Rencontres du Développement Durable 2022 - Interview croisée

Publié le 14 septembre 2022


En France

Dans le cadre des Rencontres du Développement Durable 2022, Thomas Lesueur, Commissaire général et Délégué Interministériel au développement durable et Thomas Friang, Directeur général de l’Institut Open Diplomacy, échangent à propos de l’anniversaire de l’Agenda 2030 et de ses 17 Objectifs de développement durable.

 Interview croisée Thomas Lesueur - Thomas Friang
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Interview croisée Thomas Lesueur (CGDD)- Thomas Friang (Open Diplomacy)

- Thomas Friang - La troisième édition des Rencontres du Développement Durable fondées par l’Institut Open Diplomacy va commencer. Pourquoi avoir créé cet événement ? Quelle en est sa vocation ?

Quand l’Institut Open Diplomacy a fondé les Rencontres du Développement Durable en 2020 sous le haut patronage du président de la République, nous avions un objectif simple, qui nous guide toujours : aider les Françaises et les Français à s’emparer des enjeux de la transition.

La crise environnementale qui s’accélère, les difficultés sociales dont il faut tenir compte pour y faire face et la résoudre et les profondes mutations économiques que tout cela nécessite, forment un nexus de questions politiques très complexes dont il faut débattre avec le plus grand nombre pour que chacun puisse se faire acteur de cette transition.

Depuis la Guerre en Ukraine, la dimension géopolitique du problème, que nous avions déjà documentée durant les RDD en 2020 et en 2021, est encore plus compliquée. Il y avait déjà des batailles de normes importantes entre les grands blocs économiques pour imposer les standards de la transition - notamment dans le domaine de la RSE - mais aujourd’hui il faut tenir compte d’une guerre aux conséquences mondiales, menées par un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à l’encontre du droit international et de tous ses engagements internationaux.

Plus que jamais, l’approche des RDD est valide pour impliquer nos concitoyens. Nous avons construit un événement qui mêle des expertises très diverses pour s’attaquer à des défis complexes que les Français veulent comprendre. Nous avons fédéré un écosystème d’organisations qui pensent et font la transition, ce qui permet de mener à bien des réflexions prospectives tout en restant dans le concret. Nous avons rassemblé des intervenants internationaux tout en ancrant les débats dans les territoires, ce qui nous permet d’articuler les échanges du local au global. Et surtout, nous avons associé toutes les forces politiques du pays, leurs sensibilités diverses, les parlementaires comme les membres du gouvernement et les dirigeants des collectivités.

C’est la marque de fabrique des RDD. Ce sera à nouveau le cas en 2022 pour cette édition appelée « Entreprenons la France de 2030 ! ».

- Thomas Lesueur - Le CGDD est partenaire stratégique des RDD. Cette année vous avez décidé de confier le soin à l’Institut Open Diplomacy d’organiser l’anniversaire de l’adoption des Objectifs de développement durable des Nations unies par la France. Pourquoi cette décision ?

Depuis fin 2019, la France dispose d’une feuille de route pour l’Agenda 2030 conçue avec les acteurs de la société civile. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est chargé pour le gouvernement de promouvoir, d’animer et de piloter la mise en œuvre de l’Agenda 2030 en France. Il s’appuie à cet effet sur le commissariat général au développement durable, dont la mission est sur ce champ interministérielle.

Cette feuille de route constitue la stratégie nationale de développement durable. Elle vise à produire des solutions systémiques et soutenables qui ont du sens pour tous. Elle est d’autant plus forte qu’elle est issue d’une dynamique de collaboration avec des acteurs engagés.

Notre partenariat avec l’Institut Open Diplomacy s’inscrit dans une logique de mutualisation de nos efforts pour inciter les acteurs de la société civile à s’engager en faveur des transitions.

Les Rencontres du Développement Durable constituent une opportunité de donner encore plus de visibilité aux actions conduites depuis l’adoption de la feuille de route. Elles permettent de mobiliser les acteurs de la transition et de poursuivre notre action de sensibilisation aux objectifs de l’Agenda 2030 des Nations-Unies.

- Thomas Friang - Cette troisième édition des RDD célèbre donc le 7e anniversaire officiel des ODD. Pourtant, beaucoup d’indicateurs sont au rouge au plan mondial. La pandémie et la guerre en Ukraine ont provoqué de sérieuses difficultés pour réaliser cette promesse de progrès à horizon 2030. Y a t il une vraie raison de « fêter » cet anniversaire ?

Nous passons de ce que j’ai appelé l’ « ère des crises » à une véritable « polycrise », donc en effet, le tableau n’est pas rose.

L’ère des crises, c’est cet enchaînement terrifiant pour les personnes de ma génération : du 11 septembre et la guerre en Irak à la crise financière de 2001 ; de la crise de la zone euro et la crise migratoire en Syrie ; jusqu’à la crise du multilatéralisme avec l’élection de Donald Trump et la sortie des Etats-Unis hors de l’Accord de Paris sur le Climat ou encore du JCPOA… le monde paraissait enchaîner les mauvaises nouvelles.

Aujourd’hui, ces mauvaises nouvelles ne s’enfilent plus : elles se superposent. Cela se voit quand on regarde le tableau de bord des Objectifs de Développement Durable de l’ONU que suit avec vigilance le Commissariat général au Développement durable.

La guerre en Ukraine et la pandémie de coronavirus ont mis fin à une génération de progrès. Et la dynamique mondiale qui précédait ces deux crises n’étaient pas bonne : on allait dans la bonne direction, mais pas assez vite. En 2019, le Social Progress Imperative a produit un rapport qui établissait que les ODD ne seraient pas atteints en 2030 mais en 2073. C’est un retard d’une fois et demi mon âge. Pour les jeunes de ma génération, il y a une vraie inquiétude, notamment car la crise climatique s’accélère et ses effets sont beaucoup plus violents et fréquents qu’on ne l’anticipait.

Selon le rapport mondial du Réseau des Nations unies pour les Solutions de Développement durable (le UN-SDSN), la France est classée 7e pour ses progrès au regard des Objectifs fixés dans l’Agenda 2030. Nous avons encore d’importantes marges de progression, notamment dans la décarbonation de notre économie, mais un tel contexte international doit nous amener à réfléchir avec finesse. Le monde est plus rude, et la puissance d’équilibre que représente la France - l’Etat comme la société civile - a un rôle particulier à jouer dans ce contexte pour continuer à promouvoir ces Objectifs.

- Thomas Lesueur - Dans un contexte où les catastrophes climatiques se multiplient et les crises géopolitiques perdurent, comment la France pilote-t-elle son action pour réaliser les ODD ?

La crise énergétique et les effets du dérèglement climatique ont des impacts indéniables sur la biodiversité, le pouvoir d’achat et les activités économiques de notre pays. Les 17 objectifs de développement durable concernent tous les pans de notre société et les grands enjeux auxquels nous sommes tous confrontés. Leur caractère systémique implique de nouvelles formes de gouvernance incluant tous les citoyens.

Ces enjeux appellent une accélération d’une transformation profonde de notre modèle de développement dans le contexte d’une mondialisation qui montre toutes ses limites.

Construite autour de six enjeux prioritaires – une société plus juste, un modèle économique plus sobre, l’éducation et la formation, la santé et l’alimentation et enfin la participation citoyenne – la feuille de route assure les bases d’une gouvernance renouvelée qui laisse toute sa place aux acteurs.

Les ODD constituent un prisme d’analyse pertinent, pour examiner toutes les dimensions et notamment pour évaluer les politiques publiques. Leur caractère transverse permet de croiser les regards et de comprendre les interrelations entre l’action des ministères et celle des acteurs non gouvernementaux.

Pour suivre les progrès accomplis vers l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), un jeu d’indicateurs a été défini. 98 indicateurs nationaux ont ainsi été sélectionnés pour suivre l’avancée de la France vers l’atteinte des 17 objectifs de développement durable. Ils sont définis en cohérence avec ceux mis en place par Eurostat pour évaluer les progrès de l’Union européenne.

- Thomas Friang - Ces sujets sont complexes. Comment allez-vous les aborder au fil ces troisièmes Rencontres du Développement Durable ?

Pour cette troisième édition des RDD, l’Institut et les écoles co-organisatrices ont choisi de construire six journées thématiques pour décomposer le problème. Elles s’ajoutent à l’anniversaire des ODD qui sera célébré à l’Assemblée nationale le 16 septembre sous le haut patronage de la présidente, Mme Yaël Braun-Pivet, et qui permettra de faire un balayage complet de l’Agenda 2030 et de la feuille de route française. Ce tour de France se terminera par une journée de conclusion à l’échelle européenne à Berlin le 9 décembre, avec une forte dimension géopolitique compte tenu du contexte dans lequel la guerre en Ukraine nous a plongé.

Nos six journées thématiques vont nous aider à traiter plusieurs verticales.

  • La première étape, co-organisée avec Centrale Supélec à Metz le 30 septembre, s’intitule « Innover pour shifter ». On s’interrogera sur le rôle du progrès technologique pour relever (ou pas) pleinement le défi de la transition écologique. Nous voulons éviter les impasses des GreenTechs qui sont des faux espoirs… ou encore de faire tout reposer sur l’innovation comme une solution miracle qui serait un leurre.
  • La deuxième escale se fera aux Arts & Métiers à Bordeaux le 7 octobre. Appelée « Généraliser la circularité » cette journée nous permettra de réfléchir aux obstacles ou aux voies à comprendre pour déployer, dans le plus grand nombre de filières possibles, les logiques de l’économie circulaire.
  • Le 14 octobre, nous irons ensuite à Nantes sur le campus d’Audencia pour débattre du thème « Digitaliser & Transiter ». La transition numérique va en parallèle de la transition écologique. Ces deux mutations profondes sont liées : elles peuvent être alliés ou ennemies. Et toutes deux ont des implications sociales, sociétales et politiques très fortes. Nous interrogerons ces entrelacs.
  • Ensuite, direction l’Occitanie à Montpellier Business School pour la journée « Repenser la prospérité » qui se tient le 21 octobre. Cette journée nous rappellera l’ouvrage de Tim Jackson « Prospérer sans croître » alors que de nombreuses voix commencent à plaider pour la décroissance… sans oublier que la croissance se fonde sur le PIB, indicateur qui est lui-même remis en cause par le Secrétaire général de l’ONU lui-même. L’intention de cette journée sera de voir comment nous pouvons réinventer nos modes de vie, pour relever le défi climatique, sans affaiblir notre niveau de développement.
  • Cela fait la transition toute naturelle vers la journée que nous co-organisons avec l’INSA Lyon le 18 novembre : « Gagner la sobriété ». « Gagner » parce que c’est une vraie bataille géopolitique et parce que ce serait une vraie victoire écologique. La sobriété choisie plutôt que la sobriété subie sera tout l’objet de nos réflexions.
  • Enfin, nous nous rendrons à Dijon, sur le campus de Burgundy School of Business, pour la journée « Territorialiser la transition ». Toute cette journée portera sur la façon dont la transition doit être pensée à l’échelle européenne, nationale et locale pour bien fonctionner. Elle a été imaginée bien avant la création du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et c’est donc un rendez-vous qui sera d’autant plus à propos.

Avec ces six étapes, et les différents formats de débat qui les structurent, nous pourrons offrir aux Françaises et aux Français une réflexion de qualité qui mêle les contributions des meilleurs experts, des acteurs les plus en pointe et des décideurs publics.

- Thomas Lesueur - L’édition des Rencontres du Développement durable de cette année s’intitule « Entreprenons la France de 2030 ! ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous qui coordonnez l’action de l’État à l’échelle nationale pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 ?

La transition écologique prend en compte par essence des enjeux entremêlés mais complémentaires, que l’on parle, par exemple, de formation et d’éducation, de production durable et de consommation responsable, d’accès à une eau de qualité, ou encore d’un mix énergétique décarboné.

Ces divers enjeux sont interdépendants et peuvent agir en synergie. L’objet même de l’Agenda 2030 est de saisir cette complexité et de permettre d’agir de façon équilibrée entre les enjeux sociaux, économiques et environnementaux.

Les ODD nous aident à comprendre comment entreprendre la transition, pour ne laisser personne de côté. En leur cœur on retrouve la notion d’une responsabilité partagée de l’ensemble des acteurs qui participent, par leurs activités quotidiennes, à l’atteinte de ces objectifs ou, au contraire, à nous en éloigner.

Le thème des RDD 2022 « Entreprenons la France » nous invite donc à réfléchir, avec l’ensemble des parties prenantes (collectivités territoriales, associations, entreprises, investisseurs, chercheurs, élus, administration, jeunes…), aux solutions économiques, sociales et environnementales nécessaires pour réussir la transition.